Cette semaine, nous retournons dans la rue avec une image prise sur le vif dans l’esprit de l’Agence Magnum.
Avec cette photo du photographe sicilien Enzo Sellerio datant de 1960, je vous propose le mot « Chaise » et comme à l’accoutumée, je tente une proposition inattendue pour l’illustrer.
Dans son sens premier le mot désigne un meuble ou un objet sur lequel on s’assoit. Il peut évidemment s’agir d’une simple chaise mais on pourrait comme c’est le cas ici assouplir un peu les règles et autoriser les chaises-fauteuils et pourquoi pas les banquettes ou les tabourets… Bref, la porte est ouverte !La Sicile est au cœur de l’oeuvre d’Enzo Sellerio ; une terre privilégiée et une source d’intérêt permanent. Sa vision passionnée, intelligente, drôle, rend le quotidien dynamique et très vivant. Il peut d’une scène de rue très banale, capter toute la grâce qui s’en détache. Il éprouve pour le sujet, le monde qui l’entoure et qu’il regarde avec bienveillance, une réelle empathie. Sa capacité à s’étonner d’un rien est intacte.
Quand on possède cette précieuse capacité et qu’en plus on est doté d’un sens du graphisme indéniable alors on joue dans la cour des grands !
Si on regarde un ensemble de ses photographies (la galerie ci-dessous) on est frappé par cette manière qu’il a de faire jouer ensemble les éléments les uns pas rapport aux autres et simplement, en usant du « décadrage » de parvenir à les juxtaposer avec grande harmonie.
Dans l’image proposée, rien n’est laissé au hasard. On dirait que l’artiste a disposé lui-même les éléments. La composition s’appuie sur une construction géométrique stricte. Si on trace une diagonale du coin supérieur gauche au coin inférieur droit (ou inversement) on passe immanquablement par le profil des chaises, des têtes et des bras des enfants qui les soutiennent. Les pieds gauches des porteurs qui se soulèvent simultanément suggèrent une marche en cadence et renforcent la dynamique de la composition. La ligne brisée des chaises évoque l’idée d’un escalier et si le regard part du haut ou du bas, toujours en diagonale, il est guidé vers la sortie. Rien dans l’image ne vient contrecarrer la clarté du motif central. C’est limpide, efficace, propre et ca sonne juste.
On sera indulgent par rapport à la qualité technique du cliché. Rappelons que l’on est en 1960 dans un pays pauvre qui se relève à peine de la guerre et dans lequel la photographie n’est encore que très peu développée.
Un détail pour finir, au centre. J’aimerais en dire un mot car il est fort intéressant. La main du plus grand des deux garçons soutient le dossier de la chaise portée par le plus petit. Si dans le marathon, je devais proposer une image pour illustrer le mot « soutien » je choisirais cette image sans hésitation.
Cette main, ce n’est peut-être pas grand chose et pourtant elle raconte quelque chose de plus, elle rajoute une dimension humaine ; elle évoque la solidarité, le travail en commun, l’entraide, l’amitié, la fraternité…
Je ne sais pas vous mais moi, quand je regarde cette image (ou une autre qui lui ressemble) je me pose des questions : Qui étaient-ils ? Des frères ? Des amis ?
Plus d’un demi-siècle nous sépare de cette image. Que sont-ils devenus ? Que s’est-il passé dans leur vie entre ce jour de 1960 où ils ont traversé la rue en transportant des chaises sur leurs têtes et aujourd’hui ? Vivent-il encore ?
Bref, toutes ces questions me laissent rêveur. Je ne peux qu’imaginer et ça me plaît. N’est-ce pas aussi de cela qu’elle tire toute sa force ?
Une image qui permet d’imaginer …
Enzo Sellerio est né en 1924 à Palerme (Sicile). Il obtient un diplôme de droit puis abandonne sa carrière pour se consacrer à la photographie. En 1952, il publie pour la première fois des photographies dans le magazine Sicilia En 1955, il réalise le reportage Borgo di Dio, un chef d’œuvre de la photographie néoréaliste. En 2007, il est consacré. Le Musée national Alinari de la photographie lui consacre une grande rétropspective en présentant plkus de 100 photographies à la fois à Florence (Musée Alinari) et à Milan (Metropoli). Enzo Sellerio est décédé à Palerme ne 2012 à l’âge de 88 ans.