Marathon Photo – Le retour !
Avec ce 25e OPUS, le Marathon qui compte 50 défis répartis en une année, a atteint le mi-parcours.
Il avait commencé avec le mot « DÉBUT ».
J’ai tenté de trouver un mot significatif pour marquer le franchissement de ce cap et un mot s’est tout naturellement imposé à moi, c’est le mot « MOITIÉ »
Pour l’illustrer j’ai choisi « Elisabeth et moi 1933 » une image d’André Kertesz, photographe d’origine hongroise
Voici un portrait surprenant au cadrage inhabituel ; une moitié de visage, une épaule, une main extérieure, pas n’importe laquelle mais celle de l’auteur de l’image. C’est un autoportrait (on l’apprend grâce au titre) car l’auteur se met en scène de façon anonyme. Il nous présente la moitié du visage d’Elisabeth, sa moitié dans la vie, sa femme qu’il a épousée en 1933 et il s’introduit dans le cadrage en posant subrepticement sa main sur son épaule. Sa main devient alors très présente. En terme de surface elle occupe à peu près le même espace que celui occupé par le visage. Les deux éléments s’équilibrent l’un l’autre et la composition aux deux personnages coupés tient la route !
Depuis le début de ce marathon je tente de présenter, en accompagnement du MOT hebdomadaire, des images à sens multiples qui peuvent parfois se situer au 2nd voire au 3e degrés. Ce sont souvent des interprétations inattendues en forme de clin d’œil, des points de vue à contrepied et j’ai l’espoir de provoquer chez les participants un désir d’emboiter le pas de ces grands artistes en proposant des approches subtiles et intelligentes.
Avec l’image de cette semaine, c’est une double moitié qui est présentée !
C’est une image fortement recadrée ; une interprétation tardive d’un ancien cliché sous forme d’un découpage dans un cadrage beaucoup plus large. André Kertesz retravaillait souvent le cadrage du négatif initial de manière minime ou draconienne mais toujours rigoureuse au point d’engendrer parfois une image distincte. Il affectionnait d’aller jusqu’à la conception d’une nouvelle image qui n’était pas l’objet de la prise de vue initiale.
S’il est « naturel » dans la pratique du XXe siècle de supprimer les bords du négatif ou d’en sacrifier une partie plus ou moins importante pour parfaire la construction d’une image il est beaucoup moins courant d’extraire une toute petite parcelle d’un cadrage. C’est pourtant le cas avec « Elisabeth et moi, 1933 ».
Etonnamment et brillamment André Kertesz a isolé de ce vieux négatif un détail et la version qu’il nous propose prend un tout autre sens. L’image avec son nouveau cadrage très osé s’impose avec une grande modernité. Le pari est réussi !
La version non recadrée est moins connue que cette version. Il faut en dire un mot. En 1960, soit 30 ans après la prise de vue originale, André Kertesz décide de « revisiter » son ancien cliché. De ses archives il exhume la plaque en verre de grand format le représentant accompagné d’Elisabeth assis tout deux sur un lit. Sur le cadrage initial, ils sont quasi entiers.
L’image est connue, elle a déjà été publiée « en son temps » et exposée telle qu’elle. C’est une image empreinte d’une grande douceur.
L’approche est plutôt classique. L’homme (l’auteur) enserre l’épaule de sa femme, il observe son visage et semble l’admirer. Son attitude est protectrice, respectueuse, aimante, pas étouffante. La femme se tient tout contre l’homme. Elle sourit légèrement, elle paraît heureuse, sereine.
Cartier-Bresson disait d’André Kertesz : « Tout ce qu’on a pu faire, il l’a fait avant nous ».
Né à Budapest en 1892 c’est à l’adolescence qu’il trouve dans un entrepôt un manuel de photographie. Sa décision, est prise il sera photographe. Il commence à travailler en 1912 et pendant plus de soixante ans, son regard subtil et pénétrant va modeler et marquer le langage et l’histoire de la photographie moderne.
« Je ne témoigne pas, je donne une interprétation » disait-il.
Ses images, de composition souvent abstraite et d’une invention formelle remarquable, ont ouvert de nouvelles voies à la photographie moderne et se situent à la croisée des chemins entre poésie et réalisme.
Hongrois devenu français en 1925, il fréquente les milieux d’avant-garde artistique. Il initie Brassai à la photographie !
Il a travaillé pour de nombreuses revues (Vogue, Harper’s Bazaar, Vu etc.) mais toujours de manière indépendante.
En 1936, il part avec Elisabeth et s’installe à New-York. Elisabeth meurt des suites d’un cancer en 1970. Le choc est rude.
En 1984 il donne à l’état français toutes ses archives. En 1985 il meurt à New-York.
Malgré sa longue vie, André Kertesz ne sera jamais vieux. Éternel enfant même du haut de ses 90 ans, il continuait à admirer, les yeux écarquillés, émerveillés, le monde autour de lui, comme une offrande.
J’aime vraiment beaucoup. Le challenge est difficile. Je cherche …